FéRIS BARKAT ET JULIA FAURE : «POUR LES JEUNES, S’ENGAGER POUR L’éCOLOGIE EST ENCORE UN LUXE»

Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2024, Libé informe sur les enjeux de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus proche des territoires. Deuxième étape du tour 2024 : Paris, les 29 (soir), 30 et 31 mars (entrée libre sur inscription). Un événement coproduit avec la Ville de Paris, l’Académie du Climat et Banlieues Climat. En partenariat avec le Crédit coopératif, l’Ademe, la Fondation Jean-Jaurès, Greenpeace, Oxfam, Médiatransports, Pioche ! Magazine et Vert, le média. Entrée gratuite sur inscription.

Ne proposez pas à Féris Barkat de rencontrer des écologistes, ça ne l’intéressera pas. A 22 ans, le militant, nouveau visage du climat dans les médias et récemment devenu chroniqueur chez LCP, interroge la place donnée aux jeunes de banlieues dans la lutte contre le dérèglement climatique. Lui veut parler à tous ceux dont l’écologie n’est pas le combat. Avec Banlieues Climat, l’association qu’il a cofondée entre Paris et Strasbourg (sa ville natale), il a formé une centaine de jeunes à travers la France et ouvre fin septembre une école à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Quand il réfléchit plus largement aux personnalités avec qui il aimerait discuter, sa wishlist va des acteurs Adèle Haenel et Pierre Niney au rappeur Kery James en passant par le réalisateur et scénariste Ladj Ly et la journaliste Elise Lucet.

Alors, quand on lui propose de rencontrer l’ancienne salariée d’Amazon et créatrice de la marque de vêtements Loom, Julia Faure, il hésite. D’un côté, il la trouve «trop cool» mais, de l’autre, à quoi bon parler avec des personnes déjà convaincues ? Avis partagé par la coprésidente du mouvement Impact France, réseau d’entreprises dites à «impact positif» sur les questions écologiques et sociales. Dans leurs rangs, la SNCF, l’assurance la Maif, l’appli alimentaire Yuka, la Poste, etc. Julia Faure explique qu’elle ne «parle plus vraiment à [son] camp» parce qu’il «faut aller défendre nos idées ailleurs».

C’est justement dans une autre direction qu’on les emmène et qu’ils acceptent de se rencontrer. Loin d’une discussion uniquement centrée sur l’écologie, on leur propose de débattre sur le terrain de l’entreprise. Quand l’Insee rappelle qu’en moyenne le taux de chômage est trois fois supérieur dans les quartiers populaires, quel est le rôle, voire la responsabilité de l’entreprise ? Est-elle un levier efficace dans la lutte contre le dérèglement climatique et la crise sociale ? Entretien croisé.

Féris Barkat, depuis plus d’un an que vous vous faites connaître, est-ce plus simple de sonner à la porte des entreprises, des ministères ou à celle des jeunes de banlieue ?

Féris Barkat : Pour le moment, les ministères et les entreprises viennent nous chercher à Banlieues Climat. Ils y voient leur intérêt, notamment en termes d’image. A l’inverse, les jeunes, il faut aller les convaincre. Sur le terrain, il y a les centres culturels et sociaux qui font un travail énorme mais ils sont lassés que la situation ne s’améliore pas. Nous, on est là pour donner un nouveau souffle, pour faire rêver en utilisant leurs références culturelles. Mais on se retrouve aussi face aux réalités. Quand on leur parle de sept heures de formation, les jeunes ont beau voir qu’on est cool, qu’on ne les prend pas de haut, ils nous répondent qu’ils ont autre chose à faire. Systématiquement, je vois un manque de confiance immense. Un sentiment d’abandon énorme face aux politiques, aux entreprises. Gagner leur confiance pour qu’un matin il y ait vingt jeunes à la formation, c’est déjà zinzin. Ça rappelle qu’aujourd’hui, s’engager pour l’écologie est encore un luxe.

Faut-il repenser la relation jeunes-entreprises ?

Julia Faure : C’est facile pour les entreprises qui recrutent sur des métiers en tension comme la cuisine ou le bâtiment d’être «inclusives», de recruter dans des milieux moins favorisés, c’est dans leur intérêt. Mais dès qu’on va vers des emplois moins pénibles, mieux payés, la concurrence est telle qu’en tant que candidat, c’est presque obligatoire de s’adapter aux codes de la personne qui recrute. D’être capable – pour un salarié – de passer d’un registre à l’autre. Ce sont les règles du jeu : si on ne suit pas les codes, on est perdant.

F.B. : Moi, je ne peux pas, je ne le fais pas. Et je rappelle régulièrement aux jeunes que c’est important qu’ils restent eux-mêmes.

Alors qui fait le premier pas ?

F.B. : Dans l’équation, le problème, ce ne sont pas les jeunes, c’est la manière de recruter des entreprises. En apparence, certaines veulent de la mixité mais en réalité elles recrutent des transfuges de classe, des personnes racisées qui sortent toutes de Sciences-Po. C’est bancal. Pour vraiment aller vers du commun, il faut sortir du formalisme, sortir du CV, sortir de la mixité de façade. L’idée serait plutôt de faire un entretien en fonction de la personne : c’est-à-dire sans CV et avec le degré de motivation du jeune. Une fois dans l’entreprise, il faut lutter contre toute forme de marginalisation. Dans les faits, cet investissement est rare.

J.F. : On ne peut pas compter sur la bonne volonté des entreprises sur les enjeux écologiques et sociaux, pour résoudre un problème systémique. Oui, il y en a certaines qui font des efforts, et ça peut changer la vie des personnes qu’elles emploient, mais le problème est plus global. Là, on touche à la question de l’insertion dans l’emploi et, pour cela, il faut une stratégie transversale ! Notre enjeu chez Impact France, c’est que toutes les entreprises s’engagent dans cette voie. Parce qu’aujourd’hui, je pense que la question de la discrimination reste un impensé.

Arrivez-vous à les convaincre ?

J.F. : Notre message est de dire aux décideurs politiques : si vous ne le faites pas pour une question morale, faites-le pour une raison économique. Car un monde qui exclut est un monde en tension, où l’activité économique se déploie mal. Il faudrait des incitations, des quotas par exemple. Concrètement, il faut que ça soit plus intéressant pour les entreprises d’avoir une politique inclusive que l’inverse.

L’économie sociale et solidaire (ESS), composée d’entreprises fondées sur le principe de solidarité et d’utilité sociale, représente aujourd’hui 10% du PIB. Répond-elle à une jeunesse en recherche de sens ?

J.F. : Si on ne regarde que l’ESS, ça serait un peu réducteur. Beaucoup d’entreprises ont une démarche écologique et solidaire mais pas forcément le nom et le statut juridique. A l’inverse, il y a des entreprises avec le statut ESS qui ne sont pas exemplaires dans leurs choix de recrutement et d’insertion. Il faut donc regarder plus large.

F.B. : Une partie des jeunes que l’on forme ne sait pas ce qu’est l’ESS. En face de nous, on a des jeunes entre 16 et 25 ans. Des lycéens qui ne savent pas ce qu’ils vont faire, des jeunes qui se réorientent. Beaucoup sont en alternance. Et il y en a une partie hors radars, qui n’est ni à l’école, ni au travail, ni à Pôle Emploi. Pour certains, leur seule perspective, c’est de devenir formateur à Banlieues Climat.

Alors, l’entreprise peut-elle être protectrice ?

J.F. : Pour une entreprise, c’est généralement plus intéressant de pouvoir faire varier sa masse salariale. Cela veut dire flexibilité du marché du travail et donc mettre le maximum de personnes en free-lance, en intérim et en CDD.

L’entreprise a donc elle aussi un rôle à jouer pour lutter contre les inégalités sociales et environnementales ?

J.F. : Je pense que l’entreprise est un outil efficace pour produire des biens et des services, c’est-à-dire qu’elle va faire en sorte d’utiliser le moins de ressources possibles pour cette production. Le problème, c’est qu’en l’absence de régulation, cette efficience n’est pas mise au service de l’intérêt général. Le meilleur exemple, c’est la mode : depuis 1980, on a doublé la consommation de vêtements, mais 300 000 emplois ont disparu en France. Ça a donné des habits produits au Bangladesh, avec des emplois de misère. Les entreprises sont parties de France : donc moins de cotisations sociales, et in fine moins d’argent pour les écoles, pour les hôpitaux. Là, c’est vraiment un exemple de modèle d’entreprise qui va contre l’intérêt général pour bénéficier à quelques-uns. Mais, mi-mars, on a eu une victoire contre l’ultra fast fashion avec une loi votée à l’unanimité pour réguler ce secteur.

F.B. : Comment tu expliques que ça ait bougé ?

J.F. : Je pense que c’est en partie parce qu’on a utilisé leurs codes, leur vocabulaire : celui de l’économie. La proposition a été portée par des députés, qui sont ancrés localement [loi portée par Anne-Cécile Violland, députée Horizons de Haute-Savoie, ndlr]. Les députés, eux, ont plein d’industriels dans leur région, ils voient quand une usine ferme chez eux, ils voient les emplois perdus, le chômage augmenter, les cotisations locales se réduire et la pauvreté grandir.

F.B. : Nous, dans nos formations, on pense que l’entreprise a une responsabilité historique, mais que pour le moment elle fait partie du problème plus que de la solution. Donc, dans nos formations, on parle de l’entreprise à deux échelles. A l’échelle individuelle, on explique aux jeunes que les entreprises vont se transformer et qu’ils doivent se former aux enjeux écologiques pour être prêts aux demandes d’emploi. Mais on parle aussi à l’échelle macro, pour leur dire attention à ne pas croire à la posture de l’entreprise, qui viendrait avec toutes les solutions.

Alors, comment faire ?

F.B. : Je me dis que ça ferait du bien aux jeunes qu’on leur parle plus des entreprises qui s’engagent. Parce que souvent, ceux que je rencontre pensent qu’il y a l’entreprise d’un côté et l’engagement, le bien commun de l’autre. Je leur dirais qu’il y a parfois des lieux où les deux sont compatibles.

Retrouvez Féris Barkat au Climat Libé tour, les 29, 30 et 31 mars pour une étape parisienne exceptionnelle. Avec une soirée stand-up (29 mars), une marche contre la pollution de l’air de Saint-Ouen jusqu’à l’Académie du Climat (30 mars), un concert de l’Orchestre du Nouveau Monde le 31 mars. Venez également rencontrer le député François Ruffin, le philosophe Makan Fofana, le DJ Fakear, la chercheuse Yamina Saheb, etc. Entrée libre sur inscription.

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