ENFANTS ET DéPENDANCE AUX éCRANS : «JE RECOMMANDE LA MéTHODE DES “4 PAS”, INSPIRéE DE L'ACADéMIE AMéRICAINE DE PéDIATRIE»

Le sujet capital de l’exposition des enfants aux écrans a de nouveau été mis sur la table par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse à l’Élysée, mardi 16 janvier. Le président a exprimé le souhait de reprendre «le contrôle de nos écrans» et a dit vouloir que «les meilleurs scientifiques (...) à la fois des épidémiologistes, des cliniciens, des sociologues, toutes les disciplines, puissent nous dire “avant tel âge, ça n’est pas raisonnable de mettre un enfant devant un écran”». En avril, une enquête de Santé publique France indiquait que les enfants de 2 ans passent en moyenne près d’une heure par jour devant un écran. Le chiffre ne surprend aucunement Sylvie Dieu Osika (1), pédiatre et membre du collectif surexposition écrans (CoSE). Depuis 2019, la médecin est responsable de la consultation hospitalière «Surexposition écrans» à l’hôpital Jean-Verdier à Bondy (Seine-Saint-Denis) et reçoit des enfants - parfois des bébés, qui ne peuvent plus se passer d’écrans. À quel âge peut s’installer la dépendance ? Quelles conséquences sur le développement de l’enfant ? Que peuvent mettre en place les parents pour l’éviter ? La spécialiste nous répond.

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Madame Figaro.- Qu’est-ce qui crée la dépendance aux écrans chez l’enfant ?

L’écran lui-même, qui est addictif. Les notifications, les couleurs, la fréquence des images, le son… Tout est pensé et fait pour qu’il le soit, pour qu’il capte l’attention de l’enfant. Et même le bébé en est victime. Si on le met devant un écran, on pourra voir qu’il ne le lâche pas du regard. En parallèle, plusieurs facteurs contribuent à la dépendance, comme la personnalité de l’enfant. Dans une même famille, certains vont être touchés plus que d’autres. Dans ma pratique, je m’aperçois aussi que les garçons sont davantage concernés. 80 à 90% de mes consultations les concernent, mais on ne sait pas encore l’expliquer.

À quel âge peut s’installer cette dépendance ?

Elle peut apparaître à tous les âges et même très tôt. En consultation, je vois des enfants âgés de 18 mois à 4 ans, qui sont devant les écrans depuis leurs 3 à 6 mois. Le processus d’addiction se met en place très vite. Pour le comprendre, prenons une situation classique : notre enfant est devant Pat’Patrouille, on lui retire, il pleure. Si nous sommes fatigués, si nous sommes un parent seul, sans aide extérieure, on lui redonne. Puis il demandera encore et encore, la dose d’écrans pourra être augmentée et la dépendance s’installera. Lorsqu'un enfant apprend à manger devant un écran, qu’il s’endort devant ou qu’il est consolé par lui, il ne supporte pas qu'on lui retire. L’environnement familial contribue également à l’installation de la dépendance. L’enfant peut tomber dans le piège des écrans si on ne lui propose rien d’autre en parallèle et si les adultes qui l’entourent sont eux-mêmes très souvent happés par les écrans. N’oublions pas qu’il se construit sur l’exemple.

Quelles conséquences observez-vous sur les enfants ?

Le trouble majeur et commun à tous porte sur le sommeil. Ils dorment peu et mal, ce qui a ensuite un impact sur leur développement global. Je vois aussi des troubles du langage chez le petit enfant, plus précisément un retard, voire une absence totale de langage ; j’ai par exemple rencontré des enfants de 2 ans et demi qui ne disaient pas un mot. Dans certains cas, des enfants parlent la «langue Youtube», ils passent des heures à regarder Youtube Kids et répètent ensuite ce qu’ils entendent. Ils arrivent ainsi en consultation en récitant l’alphabet ou en comptant en anglais, mais ne comprennent pas ce qu’ils disent et surtout, ne parlent pas par ailleurs. J’observe aussi des soucis d’attention, des troubles de la frustration et du comportement. Ils ont appris à se calmer avec un écran et sont incapables de faire autrement. Certains autres ont des soucis pour interagir, ils ne regardent pas l’autre, ne s’intéressent pas à ce qu’il se passe autour d’eux. Enfin, certains présentent des troubles qui s’apparentent à l’autisme.

Quel rôle les parents ont à jouer ?

J’insiste : ce n’est pas la faute des parents, c’est la société qui, en déversant internet partout, n’a pas livré de mode d’emploi, n’a pas mis en garde et n’a pas mentionné l’importance de règles à mettre en place. Selon moi, il faut donc légiférer, comme on le fait avec l’alcool et le tabac, et informer les parents, les éduquer au numérique. Cela figure dans la proposition de loi (relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans, NDLR) de Caroline Janvier et Aurore Bergé, qui date de janvier 2023 et qui est encore au Sénat. Il faut expliquer aux parents que lorsqu’ils sont à côté de leur bébé mais occupés par leur téléphone, ils ne répondent pas de la même façon à leur enfant que s’ils étaient pleinement présents. Et cela a des conséquences sur l’attachement et les interactions précoces du bébé.

Concrètement, que peut-on faire pour instaurer un rapport sain aux écrans chez l’enfant ?

Je conseille de ne pas l’exposer aux écrans avant que le langage ne soit installé, autrement dit, pas avant qu’il n’ait un langage compréhensible par d’autres personnes que ses parents. Par ailleurs, je recommande la méthode des “4 pas” de Sabine Duflo, membre du collectif CoSE, et inspirée de l’Académie américaine de pédiatrie : pas d’écran dans la chambre - ce lieu doit être préservé, même pour l’ado - pas le matin avant d’aller à la crèche, chez la nourrice ou à l’école, pas pendant les repas et pas une heure avant de dormir. De façon générale, je conseille de ne pas recourir aux écrans les jours d’école ; c’est simple et pratique pour une famille de plusieurs enfants d’âges différents. Ceci étant dit, les écrans ne sont pas à diaboliser et les parents ne doivent pas culpabiliser, nous avons tous mis nos enfants devant des dessins animés ! Faire un selfie avec son bébé ou un skype avec son enfant à côté de soi n’est pas dangereux, ce sont les contenus qui posent problème. L’essentiel est donc de savoir ce que l’enfant regarde, d’être disponible pour lui car il se construit à travers notre regard, de l’accompagner et d’échanger avec lui.

(1) Le Dr Sylvie Dieu Osika est l’auteure de Les écrans, 10 clés pour les utiliser en famille de manière raisonnée, (Éd. Hatier), 6,90 euros.

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