COMMENT LE MYTHE DU PRINCE CHARMANT NUIT à NOTRE VIE AMOUREUSE ?

Si l’on ne se déplace plus à cheval, que l’on ne se fait plus enfermer dans des donjons gardés par des dragons ou que l’on est jamais tombée dans un sommeil de cent ans après s’être piquée sur une quenouille, le Prince Charmant existe toujours. Sournois, celui-ci a su s’adapter aux époques, aux tendances et aux publics pour continuer de faire vivre son fantasme dans la tête des jeunes, et moins jeunes, femmes.

Mais qui est-il, qui est cet homme vaillant que l’on attend patiemment ? Doit-on le mettre à la porte ou peut-on encore l’espérer ?

Le prince charmant : une histoire qui dure

Le prince charmant on le connait surtout de Disney ou des contes de fées. Evidemment, c’est un homme, jeune, beau et un jour il viendra pour nous sauver de tous les tourments et nous emmener sur son fidèle destrier. Pour Claudia Colombani, coach et autrice de Je Reprends le pouvoir sur ma vie amoureuse, le mythe du prince charmant pourrait se définir ainsi : « c’est le fait de rester dans l’attente de quelque chose d’extraordinaire qui va rentrer dans notre vie et tout bousculer mais aussi dans l’attente de quelqu’un qui viendrait nous sauver de nos blessures. » Dans ce mythe, la femme reste passive, en attente, et met son bonheur entre les mains d’un homme qui viendra un jour miraculeusement guérir tout ses maux.

Cette idée subsiste qu'un homme va nous révéler à nous-mêmes

Et si les représentations de ces princes semblent progressivement s’essouffler - les films pour enfants proposent maintenant davantage d’histoire non centrées sur l’amour ou mettent en scène des jeunes femmes (presque) indépendantes - elles ont su s’immiscer dans de nouveaux scénarios, légèrement remises au goût du jour mais dans le fond toujours les mêmes. Camille Emmanuelle, journaliste et autrice de Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, identifie l’héritage de ce prince dans les romances modernes. « Il n’y a pas de tour, ni de dragon, mais la jeune femme continue à rencontrer un homme qui va la sauver et sans cet amour, elle ne s’en sortirait pas », explique-t-elle. Au travers de ce scénario stéréotypé et de cette figure du « sauveur » répétés à l’infini dans la majorité des scénarios romantiques subsiste l’idée « qu’un homme va nous révéler à nous-mêmes et faire en sorte qu’on connaisse le bonheur. » Exit la terrible belle-mère ou le dragon menaçant. La princesse est aujourd'hui l'héroïne d'une dark romance dans laquelle elle subit les pires sévices avant de rencontrer, la chanceuse, un homme, un vrai, viril qui la protégera de tous les malfrats du monde. 

Un mythe extrêmement genré

Les détails changent mais les qualités et rapports genrés demeurent. En effet, ces représentations entretiennent une dichotomie majeure, à l'origine de clichés sexistes. « Ce prince charmant il sauve par des qualités viriles de courage, de puissance tandis que la femme reste dans l’écoute et la compassion, ça sous-entend que ces caractéristiques sont propres au genre de l’individu alors qu’on peut très bien avoir un peu des deux » explique Camille Emmanuelle. Elle remarque d’ailleurs : «  On ne parle pas de princesse charmante alors qu’y a des femmes qui sauvent des hommes ! Mais ce ne sont pas des héroïnes, ce sont des personnages secondaires car on suppose que c’est normal et naturel pour les femmes d’être dans le care (le soin des autres, NDLR.) »

Aussi, cette perception de l’amour reste essentiellement hétéronormée. Le prince et la princesse continuent d’exclure une grande partie de la population qui n’est pas représentée par ce couple hétérosexuel. L’autrice spécialisée sur les romances contemporaines pointe ainsi que, même dans ces récits modernes comme la new romance et dark romance, on ne trouve qu’encore peu de récits d’amour homosexuel.

 

Un idéal romantique qui nuit à l’amour

Par ailleurs, ce mythe met en scène une vision des relations amoureuses qui ne semble pas viable. « Dans l’idéalisation et le fait de se dire “cette personne va me sauver“ on fait peser beaucoup de poids sur les épaules de l’autre alors que celui-ci reste un être humain avec ses propres finitudes » explique Claudia Colombani. Elle ajoute : « Il y a cette idée d’un amour qui triomphe de tout. Ça place aussi bien les hommes et les femmes dans l’idée qu’une relation doit être tout le temps quelque chose de simple, dans laquelle on n'a pas a faire d’efforts. » La coach va plus loin en suggérant que ce mythe brouille les pistes entre « l’état amoureux » et « l’amour ». Pour elle, l’état amoureux est ce qu’on ressent lorsqu’on a un crush, un coup de cœur. C’est quelque chose qui nous tombe dessus sur lequel on ne peut agir. En revanche, l’amour est une relation que l’on construit, que l’on travaille.

Ce qui est intéressant c’est l’après, quand on se brosse les dents avec le prince charmant

Dans les contes de fées, il n’est pas question de cet amour travaillé. Généralement, ces récits mais aussi ceux portés par les rom-com mettent en scène la rencontre amoureuse, parfois des obstacles, un récit de conquête. Mais une fois la princesse conquise, le rideau tombe. « Pourtant ce qui est intéressant c’est l’après, c’est quand on se brosse les dents avec le prince charmant » plaisante Camille Emmanuelle. Elle remarque : « ces récits ne donnent pas de clés pour le long terme ». Alors que le prince charmant pourrait très bien se transformer en prince de la chanson de Téléphone, qui fout le camp dès lors que la vie de famille, la charge mentale, les premières disputes s’installent.

Une vision toxique qui relativise les abus

Oublier qu’une relation se travaille, que l’amour n’est pas qu’une affaire de passions et d’étapes à surmonter nous éduque à une vision de l’amour lacunaire. Claudia Colombani témoigne : « Je courrais beaucoup après les étincelles que je ressentais en me disant que si je ressentais ça c’était pour une raison. Et pourtant, tout ce que j’ai pris pour des évidences à l’époque était plutôt des impasses. » Cette idée de l’amour qui serait une évidence, une force suprême qui peut tout et vaut tous les sacrifices serait, pour elle, hautement néfaste. Elle peut être à l’œuvre, par exemple, chez des femmes qui subissent des relations toxiques ou violentes mais « qui se disent “je l’aime alors je reste“ ».

De la même manière, Camille Emmanuelle voit dans la figure du sauveur et du protecteur un risque. « Certaines femmes peuvent se dire “ok il est violent“ mais en même temps il est fort et il me protège » explique-t-elle. Elle ajoute : « Ce qui met du temps c’est déconstruire l’idée qu’on a besoin d’être protégée, on n’est pas des victimes nées et un homme qui nous promet que tous les hommes sont des salauds sauf lui a peu de chance d’être un prince charmant. »

 

Tourner la page du mythe du prince charmant

Pas si charmant ce mythe. Pourtant, le psychiatre Philippe Brenot avançait dans son livre Un Jour mon prince…, en 2014, que 24% des femmes continuaient de croire au prince charmant. Comment se fait-il que cet idéal continue de séduire, que ce soit au travers des livres de romances, des comédies romantiques ou des idéaux romantiques ?

Tout simplement parce que cette vision est partout et continue de prospérer dans nos représentations, « c’est un rêve que l’on se fait vendre » avance Claudia Colombani. Avant d’ajouter : « Avoir un idéal romantique quand on grandit dans un environnement dysfonctionnel, ou non d’ailleurs, ça peut sauver. »

Il faut apprendre à croire en l'amour plutôt qu'au prince charmant

Pour ce détacher de cette vision, il faudrait alors un travail de fond. « C’est compliqué parce qu’on est dans un environnement où l’on nous pousse dans les bras d’hommes virils, puissants, protecteurs. À chaque fois c’est une question de décryptage et d’esprit critique » commence Camille Emmanuelle. Il s’agit alors de questionner sur l’origine de nos envies : sont-elles purement personnelles ou nous viennent-elles de tout ce qui nous a été rabâché depuis l’enfance ?

Au-delà de cette démarche de déconstruction et reconstruction personnelle, Claudia Colombani fantasme une société qui nous apprendrait à aimer, enfin, correctement. « Le problème de fond est qu’on manque d’une éducation relationnelle et émotionnelle » souligne-t-elle, « il faudrait apprendre à croire en l’amour et notre capacité de choisir pour nous-mêmes plutôt que de croire au prince charmant. » Ce qui ne veut pas dire qu'il faut cesser d'être une romantique, simplement sortir de son donjon soi-même pour ne plus avoir besoin d'être sauvée par le premier venu.

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