POURQUOI NINTENDO BOUDE L’ESPORT ?

Malgré la popularité de ses jeux multijoueurs, l’entreprise japonaise entretient une relation compliquée avec le milieu des compétitions professionnelles

« Je t’aime, moi non plus » - Malgré la popularité de ses jeux multijoueurs, l’entreprise japonaise entretient une relation compliquée avec le milieu des compétitions professionnelles

Si vous avez touché à un jeu vidéo, mais seulement à un seul, il y a des chances que ce soit sur une console Nintendo. La marque japonaise entretient depuis toujours une image familiale, et propose de nombreuses expériences multijoueur, du match Pokémon sur Gameboy à la course de Mario Kart.

Sur certains jeux, la simple petite partie entre amis ne suffit pas. Si bien que de nombreux fans ont voulu créer leurs propres compétitions. Sur le jeu de combat Super Smash Bros Ultimate, par exemple, certains tournois en présentiel rassemblent jusqu’à 4.000 joueurs. L’équation multijoueur + fans volontaires + public assuré + prestige de la compétition semble évidente. Seulement voilà : avec Nintendo, c’est « je t’aime, moi non plus. »

Contrôle plus que collaboration

L’entreprise a en effet un rapport très distant au monde de l’e-sport. La firme organise très peu de tournois officiels, malgré quelques événements comme un championnat international et pluridisciplinaire autour de Pokémon, dont la première édition s’est déroulée à Yokohama l’an dernier. Cette franchise, l’une des plus connues au monde, avait réussi à réunir 1600 participants en présentiel. Pourtant, tous les fans ne sont pas logés à la même enseigne.

Parmi ceux qui ont l’impression de souffrir le plus de cette situation, il y a les joueurs de Smash. « En 2019, Nintendo avait essayé d’organiser un tournoi officiel en trois contre trois, raconte Gluttony, joueur professionnel dans l’équipe Solary. Ils ne l’ont jamais refait, sûrement à cause du confinement. En 2023, globalement, ils ignorent la communauté pro, il n’y a aucune communication. » Pire, Nintendo est dans « une politique de contrôle plus que de collaboration », estime Paul Arrivé, journaliste spécialisé e-sport pour L’Equipe.

Déjà en 2013, Nintendo s’était opposé à la présence de Smash à l’EVO, le plus gros tournoi international de jeu de combat, où l’on s’affronte sur Street Fighter ou Tekken. Même rengaine en 2022 : « La communauté a voulu organiser un "World Tour", explique Gluttony. Deux entités ont voulu prendre en charge l’organisation, ce qui a créé des conflits, et Nintendo a fini par interdire les deux tournois. »

L’incident a même poussé l’entreprise japonaise à créer des « guidelines », un guide d’organisation des tournois. Les plus grosses structures, notamment celles qui souhaitent réaliser un bénéfice sur l’événement (même caritatif), doivent obtenir une autorisation de Nintendo, avec des clauses négociées au cas par cas. Les plus petits tournois, dits communautaires, peuvent bénéficier d’une licence tacite, pour peu qu’ils respectent certaines conditions. Sauf que celles-ci sont jugées très restrictives par la communauté : prix plafond pour les joueurs et les spectateurs, pas de récompense en argent, interdiction de vendre de la nourriture et des boissons.

« Ne prenez pas les choses au sérieux »

Cette démarche relève en partie de certaines différences culturelles. « Tirer un gain de ce genre d’événement, c’est quelque chose que Nintendo rejette intégralement, détaille le journaliste Paul Arrivé. Au Japon, les tournois sont sans dotations. » En effet, dans ce pays, malgré une importante culture des salles d’arcade, la compétition vidéoludique professionnelle a du mal à émerger.

De plus, Nintendo soigne son image d’éditeurs de jeux familiaux. La compétition et la professionnalisation qui reposent sur le talent à l’état pur vont à l’encontre de la philosophie de leurs jeux. Ceux qui ont joué à Mario Kart vous le diront : on peut jouer parfaitement et perdre à quelques mètres de l’arrivée parce que vos adversaires ont eu de meilleurs objets que vous à la roulette. « Ils veulent faire en sorte que les joueurs s’amusent et que n’importe qui puisse gagner, juge Gluttony. Le message c’est "Ne prenez pas trop les choses au sérieux", mais, pour un joueur compétitif, c’est frustrant. »

Pourtant, Nintendo continue de draguer ponctuellement les joueurs intéressés par le compétitif. Pokémon Unite, lancé en 2021, s’inspire de jeux comme League of Legends. En 2017, lors du premier trailer de leur dernière console, la Switch, la marque mettait en scène deux équipes de Splatoon s’affronter devant du public, en maillot de sport. « Nintendo voit la compétition comme quelque chose qui génère de l’engagement, et qui va faire en sorte que les gens achètent leurs jeux, estime Paul Arrivé. Pour eux, l’e-sport est un axe de développement marketing. »

Contacté sur le sujet, Nintendo France n’a pas répondu à nos sollicitations.

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