SMARTPHONES : LE MODE « NE PAS DéRANGER » SéDUIT DE PLUS EN PLUS DE GENS (ET ILS ONT BIEN RAISON)

Lorsque j’étais préadolescente, je ne pouvais pas résister au chant des sirènes d’AIM (AOL Instant Messenger). Quand j’entendais la notification d’un message, je me précipitais sur mon ordinateur, impatiente de voir si la personne qui s’était connectée était ma meilleure amie ou mon petit ami, tous deux également à fond sur à AIM à l’époque. Lorsque j’ai eu mon propre téléphone peu de temps après, j’ai téléchargé mes chansons préférées pour les utiliser comme sonneries, comme tous les autres adolescents que je connaissais. J’étais toujours aussi impatiente de recevoir des textos.

Maintenant que j’ai atteint la trentaine et que j’ai un emploi à temps plein, cette excitation a complètement disparu. J’ai maintenant horreur de consulter mon smartphone. Mes discussions de groupe atteignent des nombres obscènes de messages non lus, les notifications Slack du travail s’empilent et ruinent ma paix intérieure, et il semble toujours y avoir un ou deux messages d’un ami que j’avais l’intention de lire, mais que je n’ai pas encore lus.

[Note : Cet article est une traduction réalisée par la rédaction du HuffPost France, à partir d’un article paru en mars 2024 sur le Huffington Post américain. L’article original à lire ici. Il a été traduit et édité dans un souci de compréhension pour un lectorat francophone.]

Je n’ai donc vraiment pas été surprise d’apprendre qu’un certain nombre de représentants de la génération Z (nés entre la fin des années 90 et le début des années 2010) laissent désormais leur téléphone en mode « Ne pas déranger » toute la journée. Il ne s’agit plus de mettre le téléphone sur vibreur, non : il faut le laisser en mode « Ne pas déranger » 24 heures sur 24, voire 7 jours sur 7.

Sur TikTok, des vidéos ciglées « DND » [« Do Not Disturb », ne pas déranger en anglais - note de traduction] et « DND 24/7 » montrent des adolescents et des jeunes d’une vingtaine d’années, qui racontent à quel point ils se sentent plus calmes et productifs depuis qu’ils ont modifié leurs paramètres de notification et activé cette option.

Il est très simple de passer en mode « Ne pas déranger ». Pour les utilisateurs d’Android, balayez l’écran d’accueil vers le bas pour accéder au centre de notification, puis balayez à nouveau pour développer l’ensemble du panneau. Appuyez sur « Ne pas déranger » pour l’activer.

Si vous possédez un iPhone, allez dans Réglages > Concentration > Ne pas déranger. Là, vous pouvez définir les heures auxquelles vous souhaitez que votre téléphone passe en mode « Ne pas déranger », et spécifier une liste de personnes qui seront autorisées à vous contacter malgré tout, alors que toutes les autres seront réduites au silence.

Ne plus être distrait

Rendre son téléphone quasiment muet pendant toute une journée peut être étrangement effrayant. Mais pour la génération Z, il s’agit de leur téléphone, de leur temps - et donc de leur prérogative quand ils ont besoin de fixer des limites.

Quand vous êtes occupé à travailler, une notification peut entraver vos objectifs plus que vous ne le pensez. Une étude réalisée en 2005 par l’université de Californie à Irvine a montré qu’il fallait en moyenne 23 minutes à la plupart des travailleurs pour se remettre au travail après une interruption.

« Lorsque j’essaie de réviser pour un examen, une nouvelle notification Snapchat ou un message Instagram peut souvent m’entraîner dans une spirale du scroll et me faire parcourir mes réseaux sociaux pendant plusieurs minutes », explique Madeline Kerestman, 21 ans, étudiante en médecine et influenceuse, qui se met en « Ne pas déranger » pendant une grande partie de la journée.

Comme d’autres utilisateurs de TikTok, Madeline Kerestman explique que la fonction lui permet de « protéger sa tranquillité ». Elle essaie de plus en plus de vivre le moment présent, plutôt que de chercher la poussée de dopamine d’un nouveau « like » ou d’un nouveau commentaire. « Je reçois constamment des notifications de TikTok et d’Instagram qui m’informent de l’arrivée de nouveaux likes, commentaires et followers », explique-t-elle. « Bien que j’aime être connectée aux autres, cela peut vraiment être stressant et distrayant. »

« Fixer des limites »

Cet attrait pour un mode « Ne pas déranger » quasiment permanent est une preuve de plus que la génération Z peut se sentir submergée par la technologie, et qu’elle souhaite aussi tenter l’expérience d’un plus grand minimalisme numérique.

Lauren Larkin, psychothérapeute, considère que le mode « Ne pas déranger » 24 heures/24 est une tentative de cette génération pour corriger le tir et renégocier le fait d’être constamment en ligne, et trop disponible. « Je vois bien la génération Z utiliser le mode “Ne pas déranger” comme un outil pour fixer des limites », dit-elle. « Cela aide à créer un sentiment de contrôle sur des relations dont ils n’ont pas besoin, soit en étant moins accessibles, soit en ayant eux-mêmes moins accès à ce que font les autres. »

Ces dernières années, certains adolescents se sont, dans cette lignée, débarrassés de leurs smartphones et les ont remplacés... par des téléphones à clapet. Sur TiKTok, certains jeunes se sont mis à partager des instructions sur la manière de faire d’un iPhone un « téléphone muet ».

Et en 2022, le New York Times publiait un article sur le « Luddite Group », un groupe d’adolescents new-yorkais qui lisent ensemble dans Prospect Park en respectant une règle stricte : « pas de téléphone ». « Lorsque j’ai reçu mon téléphone à clapet, les choses ont instantanément changé », a expliqué l’un des adolescents interrogés. « J’ai commencé à utiliser mon cerveau. Il m’a permis de m’observer en tant que personne. J’ai aussi essayé d’écrire un livre. J’en suis à 12 pages. »

Chinedu Kenechukwu, une jeune femme de 24 ans originaire de Lagos, au Nigeria, raconte la même chose alors que la méfiance (et la lassitude) se sont installées dans sa relation avec son téléphone. « L’année dernière, j’ai passé la plupart de mes journées en “Ne pas déranger’ », explique-t-elle au HuffPost US. « J’ai tendance à être anxieuse parfois, et les appels entrants sur mon téléphone ont tendance à augmenter cette anxiété, alors je passe en mode ’Ne pas déranger’ pour préserver ma tranquillité. » Aujourd’hui, Kenechukwu n’active pas cette fonction en permanence, mais elle n’hésiterait pas à la réactiver lors d’une période de stress.

Attention aux signes de dépression

Pour les personnes souffrant d’un trouble du déficit de l’attention ou d’hyperactivité, la fonction « Ne pas déranger », couplée à la mise en place d’un moment quotidien pour répondre aux messages ou appels survenus pendant ce temps-là, peuvent vraiment changer la donne. Souvent, les personnes souffrant de TDAH ont du mal à répondre aux SMS (ainsi qu’aux appels téléphoniques et aux mails) en raison de symptômes tels que l’oubli, le sentiment d’être débordé, ou la distraction. L’option « Ne pas déranger » leur donne la possibilité de ne répondre que lorsqu’ils sont prêts.

Mais une mise en garde s’impose : régler votre téléphone sur « Ne pas déranger » pour fixer des limites et éviter d’être constamment dérangé est une chose. Mais il peut arriver que ce soit aussi le signe d’une anxiété plus profonde. « Si le fait de recevoir des appels ou des SMS vous donne des pensées qui s’emballent et que vous avez du mal à contrôler ; si par ailleurs votre rythme cardiaque s’accélère, si vous transpirez, si vous tremblez, ou même si vous avez du mal à dormir, si vous avez des nausées... Tout cela peut être le signe d’un trouble de l’anxiété », explique Lauren Larkin.

Si vous vous isolez, que vous dormez tout le temps (ou presque), que vous ne profitez plus de ce que vous aviez l’habitude d’apprécier, que vous vous sentez généralement désespéré - et qu’il s’agit d’une des raisons pour laquelle vous mettez votre téléphone en mode « Ne pas déranger », cela pourrait être le signe d’un trouble dépressif.

Des critiques de l’entourage

Par ailleurs, si vous êtes habitué à la culture de l’urgence permanente, le mode « Ne pas déranger » prolongé peut être difficile à assimiler, pour soi mais aussi pour son entourage. Les utilisateurs de cette fonction avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont tous dit qu’ils ont été critiqués par leurs amis et les membres de leur famille, frustrés de ne pas pouvoir les joindre.

Les générations plus âgées peuvent effectivement se demander « pourquoi avoir un téléphone alors ? » ou s’inquiéter de ce qui se passerait en cas d’urgence. « Ma mère me dit toujours : tu es constamment sur ton téléphone ! Pourquoi ne peux-tu pas répondre à un texto en cinq minutes ou décrocher un appel tout de suite ? », nous a expliqué Madeline Kerestman, 21 ans.

« Je pense que les générations plus âgées supposent que la génération Z et les milléniaux sont collés à leur téléphone. Bien que cela soit vrai dans une certaine mesure, je ne pense pas que cela signifie que nous devrions répondre en deux secondes ou vérifier constamment nos comptes de médias sociaux », détaille-t-elle.

Différence de génération

Emily Cooper, thérapeute à Seattle, dans l’État de Washington, se définit comme une zillennial, la « microgénération » des personnes nées entre 1993 et 1998 (trop âgés pour être considérés comme des membres de la génération Z et trop jeunes pour être des millenials).

Elle adore la fonction « Ne pas déranger », et part toujours du principe que si quelqu’un a vraiment besoin de la contacter, il la rappellera ou elle répondra vite quand elle le fera. Sa mère a une relation bien différente avec son téléphone. « Ma mère répondra au téléphone juste pour dire qu’elle ne peut pas parler », raconte Emily Cooper. Moi je lui dis : « mais alors ne réponds pas au téléphone ! ».

La thérapeute se demande si la différence possible sur le sujet entre les générations ne s’explique pas en partie par le fait qu’à l’époque, les appels téléphoniques étaient plus rares. « Pour la génération de mes parents, un appel était un moment important », dit-elle. « Il fallait être à la maison au bon moment, avoir les moyens de payer les appels longue distance. Alors que pour moi, mes contacts ont toujours été disponibles, je n’y attache donc pas autant d’importance. Je préfère répondre à des questions rapides ou à des vérifications par texto, à ma convenance. Quand il s’agit d’un sujet plus sérieux, je préfère l’aborder en personne plutôt que par téléphone. De toute façon, je n’ai plus beaucoup de gens qui m’appellent », ajoute-t-elle.

Si les préférences peuvent varier selon les âges, Emily Cooper pense de toute façon que tout le monde pourrait tirer profit de moments consacrés sans smartphone. Des études ont montré que les notifications des téléphones libèrent du cortisol - l’hormone du stress - et mettent notre cerveau en état d’alerte. Nos systèmes nerveux ont besoin de temps pour se remettre de ces signaux et vibrations que nous recevons toute la journée.

« Je pense que personne ne devrait avoir accès à nous 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. S’attendre à cela est un peu... irréaliste », précise Emily Cooper. « Les gens ont une vie : les enfants, l’école, le travail, la famille, les amis... » Selon elle, les seules personnes à exclure du mode « Ne pas déranger » sont les parents et les enfants. « Je pense que c’est un bon compromis », dit-elle. « Dans l’ensemble, mon expérience m’a permis de me sentir maîtresse de la situation et de pouvoir choisir quand participer aux conversations par texto ou sur les réseaux sociaux, au lieu d’avoir l’impression qu’ils m’étaient imposés. »

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